Comment tenter d’expliquer ce qui se passe en nous dans l’expérience de l’hypnose ?
La psychanalyste Alice Miller dit : « La difficulté d’affirmer ses sentiments dans l’enfance aboutit à figer le lien avec les parents et à lui donner une permanence qui empêche toute délimitation (du soi) car les parents ont trouvé, dans le faux soi de l’enfant, la confirmation souhaitée, un substitut de la sécurité qui leur a fait défaut ; et de son côté, l’enfant qui n’a pu construire un sentiment de sécurité propre, plus tard dans la vie adulte, sera inconscient de cette dépendance aux parents. Il ne peut se fier à ses sentiments, n’en a aucune expérience, il ne connaît pas ses vrais besoins; il est au plus haut degré étranger à lui-même. Il devient à l’âge adulte tributaire de personnes qui vont le représenter, comme le ou la partenaire. Succédera alors à notre solitude dans la maison paternelle un isolement intérieur. »
Ce besoin de garder exagérément une image de soi est appelée « faux self » par Winnicott (et « persona » par Jung) : il explique que, lorsqu’un enfant se heurte à un parent narcissique qui n’est pas disponible, qui ne l’aime pas pour lui, l’enfant, pour exister et être aimé va devoir remplir les désirs des parents, s’occuper d’eux. Il va créer inconsciemment un moi qui sera l’enfant qu’auraient voulu ses parents, un faux moi, rigide, trop cohérent qui sera disocié, à la fois, de la conscience corporelle et de ses sentiments réels.
Ce faux moi sera associé à une carapace corporelle qui lui permettra de ne pas trop souffrir
A l’âge adulte il fonctionnera selon deux modèles possibles : soit une sensation de vide existentiel soit un besoin exagéré d’en faire trop car il n’aura l’impression d’exister que dans le regard des autres. Il gardera inconsciemment la nostalgie d’une relation idéale qu’il n’a pas eue avec ses parents tout en vivant derrière une carapace inconsciente (bien décrite par W. Reich) qui le protègera mais en même temps l’isolera, l’empêchera de recevoir la chaleur de l’amitié et de l’amour.
La thérapie en hypnose est si efficace car en favorisant l’être plus que le savoir, à travers le vécu d’une conscience corporelle et d’une relation aux autres et au monde qui ne passe pas seulement par un moi pensant, elle recrée cette relation qui nous a parfois tellement manqué enfants et, ainsi nous cicatrisant profondément nous permet de ne plus avoir besoin de nos cuirasses corporelles.
La confiance en SOI n’apparaît qu’à ce moment, quand on lâche prise, qu’on abandonne le besoin de contrôler (le contraire de ce que l’on nous a toujours appris).
L’hypnose a donc fondamentalement à voir avec remplacer notre besoin d’avoir une image de nous-mêmes, par l’expérience vécue, qu’en lâchant prise, un sentiment de soi stable et authentique apparaît dans ce non-contrôle.
Cela explique aussi pourquoi les thérapies sont parfois si courtes en hypnose ericksonienne : si le soi est assez sain, il faut souvent peu de temps en thérapie pour que nous nous réarticulions (pas nécessaire de remonter à l’enfance) et cela quelle que soit la gravité apparente du symptôme.
Comme nous voyons le monde avec ce moi plus ou moins faux, cela implique que chacun de nous voit un monde différent qui sera toujours un monde restreint, des relations où nous répétons en partie des attachements infantiles.
« Moi je » est donc une texture rapiécée provenant de trous dans nos expériences émotionnelles (avec un corps en miroir où des zones entières ne sont pas habitées par la conscience, sont contractées), la conscience habituelle est donc une conscience restreinte, elle n’est pas l’entièreté de nous.
Ces zones corporelles sont absentes à moi-je, non reliées entre elles, dissociées, (et c’est là l’autre découverte de l’hypnose), accessibles seulement dans un autre état de conscience : quand elles redeviennent conscientes, les sentiments, les émotions enfouis réapparaissent progressivement, se réarticulent à ce corps neuf.
L’état de conscience hypnotique va aussi re-créer en nous un monde potentiel (la conscience hypnotique n’est pas vide, mais il n’y a pas de pensée, c’est une conscience de potentialités un peu comme celle d’un enfant).
Il apparaîtra aussi dans cet état une relation inconsciente au thérapeute qui est pour nous cette présence invisible à toute relation (toute relation est une inter-relation), au-delà de l’identité sociale (la « persona » de Jung), du moi-je (le moi d’une part nous permet d’être en relation mais d’autre part nous isole, s’il prend trop de place).
La relation hypnotique crée directement cette sensation d’être reliés au monde différemment ET en même temps nous met en présence d’une partie de nous silencieuse dans le corps : nous sommes là, présents, sans plus devoir faire d’efforts pour nous sentir exister (tous les patients disent que leur vécu est très différent dans la relation en hypnose en consultation par rapport à l’autohypnose qu’ils font seuls).
Cette expérience n’est généralement pas consciente en hypnose, on a un vague sentiment que quelque chose a changé, nous sommes souvent bouleversés mais nous n’avons pas de mots pour l’expliquer.
La relation en hypnose clinique à la fois avec soi-corps et avec un thérapeute véritablement humain recrée, dans notre expérience, un lien proche du lien qui nous a à tous plus ou moins manqué : celui avec une mère bonne et suffisamment présente dans la relation.
Se reconstituent alors, grâce à ce lien, à la fois, un soi ET un moi, sains, en relation l’un avec l’autre, s’équilibrant l’un l’autre, nous pouvons devenir pour nous-mêmes une bonne mère, renoncer à la rechercher à l’extérieur, ne plus être dépendants.
L’hypnose n’est donc pas pour nous seulement une « auto hypnose » qui aboutirait alors à la clôture d’un idéal individualiste, idéal qui serait Narcisse (rejoignant alors inconsciemment Freud), mais bien vivre l’expérience qu’on n’est vraiment en sécurité que quand nous réalisons que nous existons tous en interdépendance, pas dans un moi isolé.